Un arrêt intéressant de la chambre commerciale de la Cour de Cassation rendu le 14 mai 2013 indique que pour déterminer si une marque présente un caractère distinctif ou non, la liste des produits et services visés dans l’enregistrement de la marque, au moment de son dépôt, n’est pas nécessairement limitative. Il peut être admis de se référer aussi à l’usage qui est fait ensuite de cette marque par son titulaire.

Ainsi, une marque composée d’un signe descriptif lors de son enregistrement peut acquérir ultérieurement, de par son exploitation, un caractère distinctif et ainsi devenir valable.

En l’espèce, une société avait enregistré la marque « DICT.fr » pour des services de :

« publicité, gestion des affaires commerciales, travaux de bureau, conseils, informations ou renseignements d’affaires, reproduction de documents, gestion de fichiers informatiques, constructions, réparations, services d’installation, travaux publics, travaux ruraux, forage de puits, entretien ou nettoyage de bâtiments, de locaux, du sol, télécommunications, communication par terminaux d’ordinateur, service de messagerie électronique par réseau informatique, transport, distribution d’eau et d’électricité, emballage et entreposage de marchandise, programmation pour ordinateurs, travaux d’ingénieurs, consultations professionnelles et établissement de plans sans rapport avec la conduite des affaires, travaux du génie, location de temps d’accès à un centre serveur de bases de données ».

DICT est l’acronyme de déclaration d’intention de commencement des travaux.

Un concurrent l’assigne en justice, demandant la nullité de cette marque pour défaut de caractère distinctif, estimant qu’il s’agirait de la désignation nécessaire et usuelle utilisée pour décrire le service de dépôt de déclaration d’intention de commencement des travaux.

En défense, la société titulaire de cette marque réplique qu’elle « ne décrit pas les services proposés, qui consistent en une nouvelle plate-forme internet de mise en relation des clients tous en partie liés autour de la déclaration d’intention de commencement de travaux » et que cette marque serait descriptive « si elle se bornait à faire remplir des Déclarations d’Intention de Commencement de Travaux au public, alors que tel n’est pas le cas, dans la mesure où ce n’est ici qu’une partie de ces offres ».

La Cour d’Appel considère d’abord que :

« la distinctivité du signe ne s’apprécie pas au regard du service proposé, mais des produits et services visés dans l’enregistrement » et que « à la date de son dépôt ce signe était purement descriptif de l’ensemble des produits et services désignés, chacun correspondant à un aspect à prendre en compte dans le cadre du traitement par voie de communication électronique du processus de déclaration, de sorte qu’il ne pouvait être monopolisé par un seul intervenant sur ce marché ».

Elle précise cependant que :

« le caractère distinctif peut en pareil cas être acquis par l’usage ».

Les pièces versées au débat par le titulaire de la marque démontrent, pour la Cour, que le service offert sous le signe DICT.fr par cette société est connu par une très large fraction du public pertinent. Dans ces conditions, la fonction essentielle d’identification d’origine est bien remplie par le signe contesté, de même que les fonctions de communication et d’investissement.

La Cour d’Appel en conclut que, bien que non distinctif à l’origine, le signe DICT.fr, par l’exploitation qui en a été faite ensuite, a atteint une distinctivité suffisante pour être valable. Elle rejette par conséquent la demande de nullité de cette marque.

Saisie d’un pourvoi contre cet arrêt, la Cour de Cassation approuve la solution retenue par la Cour d’Appel et rejette le pourvoi :

« Attendu qu’un signe, qui a été enregistré comme marque, alors qu’il était dépourvu de caractère distinctif, peut acquérir ultérieurement un tel caractère par l’usage qui en est fait, à titre de marque ; que l’arrêt relève que le signe « dict.fr » a largement et continuellement été exploité, par la société S., en tant que marque, depuis 2004, pour désigner un service internet permettant aux entreprises de maîtriser les paramètres de contrôle et d’émission des déclarations imposées légalement pour certains travaux ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire que le signe « dict.fr » avait acquis un caractère distinctif par l’usage ».

Cette arrêt se prononçait également sur l’utilisation de la marque d’un concurrent comme mot-clé Google AdWords, allant plus loin dans la libéralisation de ce type d’usages en approuvant la condamnation du titulaire d’une marque qui avait demandé à Google de supprimer le référencement des annonces concurrentes sur le mot-clé correspondant à sa marque (voir notre article à ce sujet).

Pour voir l’arrêt : Legifrance.gouv.fr